Populations

Ourse et son jeune, archipel François Joseph - © Catherine Marion

La population mondiale

L’ours polaire ne vit que dans l’Arctique. Son aire de répartition circumpolaire s’étend en moyenne de 80° N à 57° N.

La population totale a été estimée en 2006 entre 20 000 et 22 000 individus. Si ce nombre semble relativement stable – le dernier recensement donnait une évaluation semblable en 1999 – il cache bien des disparités. Les biologistes spécialistes de l’espèce ont divisé la population globale en dix-neuf sous-populations, ce qui permet une étude détaillée beaucoup plus précise prenant en compte les particularités locales. Certaines sont bien documentées, grâce à de nombreux programmes de recherche et des comptages fiables, d’autres ne reçoivent jamais la visite d’un biologiste. Sur ces dix-neuf sous-populations, cinq sont en déclin, cinq autres sont stables, trois en augmentation, et pour six d’entre elles les informations sont imprécises ou inexistantes. Évidemment, certains ours peuvent passer d’un secteur à un autre en parcourant parfois de grandes distances, mais dans leur grande majorité, les populations distinctes sont identifiables par leur patrimoine génétique et par leurs déplacements étudiés grâce à des colliers émetteurs. D’un point de vue politique, la population d’ours polaires est sous la responsabilité de cinq nations : la Russie, les États-Unis, la Norvège, le Danemark (gouvernement du Groenland) et le Canada.

Le bassin arctique est rarement visité par les ours mais risque de devenir une zone importante pour leur survie en raison de la diminution estivale de la banquise. L’observation la plus septentrionale date du mois d’août 2001, au cours duquel un ours fut découvert par 89° 46,5’N soit à 24 km du pôle Nord géographique. Il arrive que des ours polaires rejoignent Terre-Neuve, voire l’embouchure du fleuve St Laurent, c’est-à-dire une latitude de 50°N. Les ours peuvent aussi franchir de grandes distances d’est en ouest. Des animaux marqués dans l’est du Svalbard furent tués au sud du Groenland, une femelle et ses deux jeunes ont traversé l’océan Arctique du nord de l’Alaska au nord du Groenland.

Les populations pays par pays

Svalbard et mer de Barents

La population du Svalbard, qui occupe tout le nord de la mer de Barents jusqu’à l’archipel François-Joseph et la Nouvelle-Zemble, est l’une des mieux connues. Elle est estimée à plus de 3 300 individus. L’essentiel de cette population se concentre dans l’est de l’archipel, dans les zones de banquise très actives du Storfjord et au nord de Nordaustlandet. Le petit groupe d’îles formant le Kong Karls Land est une zone de reproduction importante pour l’espèce.

L’ours polaire fut longtemps chassé par les trappeurs à l’aide d’un piège armé d’un fusil à déclenchement automatique. Ces installations extrêmement destructrices ont permis en une centaine d’années l’abattage de plus de 27 000 ours polaires en mer de Barents, un trappeur ayant à son actif le triste record de plus de 700 bêtes tuées.

Efficacement protégée par le gouvernement norvégien, la population d’ours polaires s’est bien reconstituée. Toute chasse fut prohibée à partir de 1973. L’hiver, les zones de tanières sont interdites aux motoneiges pour que les femelles profitent de la tranquillité des lieux. Des règles de bonne conduite ont été édictées pour éviter les contacts qui pourraient devenir dangereux pour l’homme et l’animal : port du fusil obligatoire, distance minimum à respecter. Grâce à ces mesures, la population de l’archipel est l’une de plus dynamique de l’Arctique, mais elle est touchée de plein fouet par la pollution et désormais par les effets du réchauffement climatique. En Norvège, la chasse à l’ours polaire est interdite, mais la vente des peaux est toujours pratiquée, notamment au Svalbard.

Groenland

Les ours polaires du Groenland sont répartis en cinq sous-populations, dont deux fréquentent également le Canada. Sur la côte est, la population est très mal connue, aucune estimation fiable n’existe. Le nombre de 2 000 individus est avancé, mais avec une grande imprécision.

Le recul de la banquise de l’est groenlandais laisse supposer que la population de ce secteur est en déclin. À l’ouest, l’aire de répartition s’étend en partie sur le territoire canadien, mais les lois régissant la chasse ne sont pas les mêmes de part et d’autre du détroit de Davis.

Au Groenland, la chasse à l’ours polaire est régie depuis la fin 2007 par un tout nouveau règlement autorisant la chasse en dehors du parc national selon un quota annuel pour les habitants porteurs de licence. Les femelles et les jeunes sont protégés, et les zones de tanières ne doivent subir aucun dérangement. Les quotas tiennent compte des comptages et des négociations entre conseils locaux et biologistes. Malgré cela, l’application des quotas semble laxiste et le nombre d’animaux réellement abattus est mal connu. Dans le Scoresby Sund, sur la côte nord-est, les peaux pourrissent sur les balcons d’Ittoqqotoormiit ou finissent en petits carrés de 10 cm de côté vendus à des touristes incultes. Qu’est devenu le respect du gibier ? Où sont passés les « derniers rois » de la banquise, dissous dans la mondialisation dévorante ?

Les ours débarquent en Islande

Ce n’était plus arrivé depuis quinze ans… Deux ours polaires en provenance du Groenland ont abordé les côtes islandaises. Ce 3 juin 2008 à 9 h 30, c’est l’effervescence à proximité de la petite ville de Skagafjördur : un fermier vient de signaler la présence incongrue d’un ours polaire qui déambule le long d’une route. Tous les ours polaires qui atterrissent en Islande le font sur ce site. Ces deux-là avaient probablement nagé sur plus de 100 kilomètres pour rejoindre la côte. L’un des deux ours est abattu par un policier, quelque peu paniqué face au plantigrade pourtant placide. Le deuxième, blessé et amaigri, est également abattu. En cette fin d’hiver, l’extension de la glace très au large du Groenland jusqu’en bordure de l’Islande est à l’origine de cette confrontation assez rare.

Un fait similaire a été rapporté dans l’histoire de l’Islande dès 890, soit seulement 16 ans après l’installation de la première colonie, et une baie de la côte au nord porte le nom de « baie des ours ». Ces rencontres étaient assez fréquentes au Moyen-Âge. Dans tous les cas, les ours ont été abattus.

L’observation la plus récente remontait à 1993, époque à laquelle un ours fut aperçu nageant à proximité de Strandir où il fut abattu.

Canada

Le Canada accueille sur son territoire environ 60 % de tous les ours polaires de l’Arctique. À l’est, les aires de répartition des sous-populations du Canada et du Groenland se chevauchent partiellement. Il en est de même à l’ouest pour celles du Canada et de l’Alaska.

Au Canada, l’espèce est protégée depuis 1973, mais des aménagements prennent en compte les besoins spécifiques des Inuits qui ont conservé des droits de chasse dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nunavut et au Québec. Pour chaque communauté de chasseurs, un quota de chasse est déterminé après concertation entre les biologistes qui étudient les populations et les associations de chasseurs. Pour contrebalancer la perte de revenus liée à l’arrêt de la commercialisation des peaux de phoques au début des années quatre-vingt, les Inuits vendent une partie de leurs quotas de chasse à l’ours polaire par l’intermédiaire de sociétés spécialisées. Après un démarrage difficile, cette activité représente deux millions d’euros chaque année. Elle se répartit principalement dans les communautés de Arctic Bay, Clyde River, Resolute et Grise Fjord, au Nunavut, mais aussi à Tuktoyaktuk dans les Territoires du Nord-Ouest. Le chasseur étranger devra utiliser les services d’un guide inuit et se déplacer en traîneau à chiens. Il lui en coûtera 25 000 euros pour fixer au mur ou poser sur son parquet une peau d’ours.

Sur la côte ouest de la baie d’Hudson, la population d’ours polaires est bien étudiée ; 80 % des individus sont marqués, et pour chacun d’eux a été établie une carte d’identité indiquant son âge, sa taille, ses taux de polluants, les informations concernant son patrimoine génétique. De plus, certains sont suivis par balise. Ces études durent depuis plus de 30 ans.

Le cycle annuel de ces ours et leur migration dans le sens horaire au sein de la baie d’Hudson sont bien connus, et la vaste zone de tanières est protégée grâce à la création du parc national de Wapusk. Toutes les données recueillies ces dernières années mettent en évidence une réduction de la population d’environ 30 %. Les causes en sont clairement liées à l’évolution de la date de dislocation de la banquise qui intervient trois semaines plus tôt qu’il y a 30 ans. Cette sous-population est certainement celle qui est le plus en danger dans tout l’Arctique.

Pour répondre aux mises en garde des scientifiques et des associations de protection de l’environnement qui imposent un principe de précaution, les quotas de chasse à l’ours polaire ont été diminués drastiquement au Canada. Un total de 105 ours est autorisé pour l’année 2009, et seuls 17 droits de chasse ont été attribués dans tout le Nunavut. Les scientifiques ont démontré que la chasse n’était plus possible en raison des risques qui planent sur l’espèce à court ou moyen terme. Mais l’arbitrage est difficile entre la sauvegarde d’une culture et celle d’une espèce animale. Les Inuits et les scientifiques s’opposent, les premiers constatant une augmentation de la présence des plantigrades à proximité de certains villages, les seconds mettant en avant une population globalement fragilisée par des changements climatiques significatifs.

Alaska

La population du nord de l’Alaska se mêle pour une grande part avec celle de la Russie à l’ouest et celle du Canada à l’est. Elle est totalement dépendante des mesures de protection des pays voisins, et la coopération internationale est fondamentale pour la conservation et l’étude des ours polaires. Cette population, bien étudiée depuis de nombreuses années, montre une dépendance vis-à-vis de l’état de la banquise supérieure à celle d’autres populations, ce qui la rend encore plus sensible au réchauffement climatique. Les études réalisées en mer de Beaufort au printemps 2008 démontrent que les ours polaires sont globalement en état de déficit alimentaire alors que cette période devrait être celle de l’abondance.

En Alaska, le nombre d’animaux chassés est resté stable au cours des dernières années. Par contre, les abattages pour légitime défense sont en en progression sensible. Depuis mai 2008, le classement de l’ours polaire comme espèce en danger interdit tout prélèvement sur le territoire américain ainsi que l’importation de tout ou partie d’un ours polaire. Le chasseur américain ne peut donc ramener chez lui son trophée. Mais cette mesure de protection est remise en cause par le gouverneur d’Alaska, Sarah Palin, car elle entrave la recherche pétrolière et s’oppose au développement des grandes compagnies au nord de l’Alaska dans les zones occupées par l’ours polaire. Les grandes associations de chasseurs font également pression contre cette mesure de protection. Un nouveau décret paru en décembre 2008 stipule que le statut spécial de protection de l’ours polaire ne s’applique pas aux zones d’exploitation et minimise le rôle des biologistes dans les décisions concernant le classement des espèces menacées. Un beau cadeau aux sociétés pétrolières !

Russie

Le long des côtes arctiques de Russie, on dénombre quatre sous-populations. Celle de la mer de Barents se mêle avec la sous-population de Norvège, et celle de la mer des Tchouktches avec la sous-population d’Alaska. Les deux sous-populations propres à la Sibérie – celle de la mer de Kara et celle de la mer de Laptev – sont mal connues voire parfaitement ignorées.

Le nombre total d’ours polaires est d’environ 6 000 individus, dont 1 500 pour la mer de Kara et de 800 à 1 200 sur les côtes de la mer de Laptev.

Les principaux problèmes de ces populations sont liés à la pollution par les hydrocarbures, les métaux lourds et les polychlorobiphényles, sans oublier les déchets atomiques largement répandus à proximité de la Nouvelle-Zemble et de l’archipel François-Joseph.

L’île Wrangel, site très important pour la reproduction des ours polaires avec plusieurs centaines de tanières, bénéficie d’un statut particulier. Un accord américano-russe protège ce site avec les mêmes règles de part et d’autre du détroit de Béring : la chasse n’y est autorisée que pour les autochtones côtiers. Les zones de reproduction, les femelles suitées et les jeunes sont protégés.

D’après l’antenne russe du World Wildlife Found, le trafic des peaux d’ours polaires en Russie est en plein essor (source bulletin WWF Printemps 2007, Novosti mars 2008). L’Union Soviétique avait pourtant été le premier pays à protéger l’ours polaire dès 1957, mais c’est bien dans la Russie moderne que la chasse et le trafic d’ours polaires sont les plus intenses. Avec plus de 30 annonces recensées sur Internet pour la vente de peaux d’ours en 2007 et 2008, les prix ont flambé, passant de 3 000 à 6 000 dollars US en cinq ans.

L’antenne russe du WWF enquête sur la provenance des peaux, mais il est impossible de déterminer le site d’abattage même si l’essentiel des prises provient de Tchoukotka et de Dikson (nord Sibérie). Dans la communauté de Ryrkaipyl, une dizaine d’ours ont été abattus en 2006.

Le nombre total de peaux exportées est estimé entre 150 et 200 par an. Avec la dislocation précoce de la banquise, il semble bien que les ours polaires visitent plus souvent les communautés et que l’abattage s’en trouve ainsi facilité. Fréquents autour du village de Dikson, seul lieu habité en permanence sur la péninsule de Taymir, les ours sont souvent chassés illégalement. Une patrouille a été mise en place à partir de l’hiver 2008 pour éviter les abattages illégaux et sensibiliser les populations locales à la protection des ours polaires.

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