Origine et évolution

Ours qui chasse en été - © Rémy Marion

Huit espèces d’ours dans le monde

Les ancêtres des ours sont apparus au sein de l’arbre évolutif des Carnivores il y a environ 22 millions d’années. Proche parent des petits pandas que nous connaissons de nos jours, Ursavus elmensis n’était pas plus gros qu’un raton laveur. Cette espèce souche s’est diversifiée au cours du temps, au gré des contraintes environnementales et de la pression des autres espèces animales. Les premiers à se diversifier voici 15 millions d’années furent les ancêtres de l’actuel grand panda, seul Carnivore à régime herbivore strict ne mangeant qu’un type de plante, le bambou.

Neuf millions d’années plus tard, les ancêtres de l’ours à lunettes, encore présent au nord-ouest de l’Amérique du Sud, virent le jour et constituèrent un groupe, nommé ours à face courte, qui occupa très largement l’Amérique. Certains étaient hauts sur pattes, adaptés à poursuivre les grands herbivores, et devaient peser près d’une tonne. La concurrence avec les premiers ours bruns et les ours noirs originaires d’Europe et d’Asie et l’arrivée des hommes sur le continent entraînèrent leur disparition. La sous-famille des Ursinés, qui comprend l’ours à collier, l’ours noir américain, l’ours lippu, l’ours des cocotiers, l’ours brun et l’ours polaire, fit son apparition il y a seulement cinq millions d’années, sous la forme d’un animal de la taille d’un gros chien. Plusieurs espèces évoluèrent, dont l’une à l’origine du fameux ours des cavernes, grand herbivore de 400 kg, une autre de l’ours étrusque, ces deux espèces vivant encore à l’époque des premiers ours bruns que nous connaissons actuellement.

L’évolution vers l’ours polaire

Les origines de l’ours polaire sont à rechercher dans une branche proche de celle de l’ours brun actuel. Les premières traces de différenciation datent de 1,3 million d’années, et l’espèce se serait individualisée il y a 300 000 ans.

Comme le prouvent les cas d’hybridation entre ours brun et ours polaire, ces deux espèces sont beaucoup plus proches que ne pourraient le laisser penser leur allure et leur mode de vie.

Les études de génétique montrent que la souche de l’ours polaire serait originaire du sud de l’Alaska, dans l’archipel Alexander ; c’est dans cette région que la proximité génétique de cette population d’ours bruns et de l’ours polaire est plus importante encore. Un groupe d’ours bruns, isolés de leurs congénères par les glaciations, aurait évolué en s’adaptant à la chasse aux phoques sur la banquise. Un pelage clair, un arrière-train puissant leur permettant de bondir aisément sur leur proie ont certainement sélectionné les individus les plus aptes à tuer un phoque sur la glace.

Il est difficile de retracer l’évolution et la répartition de l’ours polaire. Il vit et meurt sur la banquise, milieu peu propice à la conservation des cadavres. En outre, l’espèce s’est trop récemment différenciée pour qu’il y ait eu fossilisation d’éléments osseux. L’ossement le plus ancien identifié comme appartenant à un ours polaire a été retrouvé au Svalbard et date d’environ 130 000 ans.

Il y a encore 10 000 ans, l’ours polaire était présent sur les côtes scandinaves et au nord de l’Allemagne. L’étude des quelques restes osseux disponibles suggère que la taille des ours polaires a diminué depuis le Pléistocène, suivant le même schéma que d’autres espèces de mammifères vivant encore de nos jours.

Le plus vieil ossement d’ours polaire

Les ossements anciens d’ours polaire sont rares. Un ossement attribué à cette espèce a été découvert dans la banlieue de Londres et daté de 70 000 ans, mais les scientifiques s’accordent à dire maintenant qu’il appartient certainement à un ours brun.

Aussi, la découverte d’une très vielle mandibule attribuée avec certitude à un ours polaire constitue un évènement notable. Nous devons cette découverte à une équipe dirigée par le Professeur Olafur Ingolfsson, de l’université d’Islande. La mandibule, en très bon état de conservation, mesure 23 cm de long et possède toutes les caractéristiques permettant une identification précise. Elle a été mise au jour dans les sédiments du site de Poolepynten sur le Prins Karls Forland, grande île parallèle à la côte ouest du Spitzberg qui accueille chaque été un important groupe de morses. Avant toute analyse de la mandibule en laboratoire, la datation des couches de sédiments a permis d’estimer entre 110 000 et 130 000 ans l’âge de ce reste osseux. Cette découverte de première importance montre que l’ours polaire avait déjà l’aspect que nous lui connaissons et que l’espèce a résisté aux variations climatiques de la dernière période interglaciaire.

Vivre sur la banquise

Au cours de son évolution, l’ours polaire a acquis un pelage blanc, camouflage idéal du chasseur dans un univers sans couleur qui lui a permis de se spécialiser dans la chasse aux phoques sur la banquise.

La fourrure de l’ours polaire est constituée de deux types de poils : des poils de jarre, longs et résistants, recouvrant une couche de poils de bourre, fins et laineux. Les poils extérieurs s’essorent facilement quand l’ours sort de l’eau : l’animal s’ébroue énergiquement et se sèche en se frottant dans la neige. La couche de sous-poil maintient de l’air plus chaud au contact de la peau et sert d’isolant thermique. Mais cette fourrure pourrait être moins isolante qu’il n’y paraît. Longtemps il a été dit que les poils creux de l’ours polaire fonctionnaient comme des fibres optiques en guidant l’énergie solaire vers la peau noire de l’animal. Certains scientifiques ont démontré que ce n’était qu’une légende.

Le dessous des pattes est couvert de poils qui isolent l’animal du contact avec la glace. Sur les coussinets plantaires, de petites rugosités servent d’antidérapants. Les griffes, courtes et massives, sont idéales pour s’agripper sur la glace et maintenir une proie glissante.

Au fil du temps, la taille des oreilles s’est considérablement réduite, limitant ainsi les déperditions de chaleur. À l’inverse, le crâne s’est allongé, ainsi que les fosses nasales : l’augmentation de leur surface d’échange favorise le réchauffement de l’air inspiré comme le refroidissement de l’air expiré, et améliore les performances de l’odorat. Grâce à cet odorat très développé, l’ours polaire peut déceler la présence d’un phoque à une dizaine de kilomètres, et l’odeur d’une baleine échouée attire les ours à plus de 30 km à la ronde.

Comment un ours polaire de plusieurs centaines de kilogrammes peut-il se déplacer sur une jeune glace de mer de quelques centimètres d’épaisseur ? Il fait glisser chaque patte avec précaution, ne la laissant au même endroit que quelques secondes pour éviter de traverser la surface fragile, dont il utilise l’élasticité. Il répartit son poids au maximum, et parfois même il peut ramper.

Toutefois bien des questions restent encore sans réponse… Parmi elles, comment les ours polaires s’orientent-ils sur la banquise, cet univers mouvant en perpétuelle évolution et dépourvu de repères ?

Dans l’eau

L’ours polaire est un nageur efficace. Sa graisse et sa fourrure lui confèrent une flottabilité positive, et il se maintient en surface sans effort.

Il se propulse en nageant comme un chien à l’aide de ses pattes antérieures semi-palmées, les pattes postérieures ne servant généralement que de gouvernail. Parfois, l’ours fait la brasse en coordonnant les mouvements des quatre membres. La tête et l’arrière-train dépassent à peine de la surface. La tête allongée offre une bonne pénétration dans l’eau, sans turbulence. Un ours polaire peut nager sur une distance de plus de 100 km à une vitesse proche de 10 km par heure.

Il peut aussi plonger, et ce probablement beaucoup plus profondément que ce qui a été observé. Différents témoignages rapportent que des ours polaires se sont aventurés entre 15 et 20 mètres de profondeur. La durée des apnées mesurée atteint 1 minute et 12 secondes. Dans l’eau, l’ours consomme beaucoup d’énergie et les traversées au long cours sont probablement peu fréquentes.

Le requin et l’ours blanc, fable polaire

En août 2008 au Svalbard, une mandibule de jeune ours polaire a été retrouvée dans l’estomac d’un requin du Groenland. Cette découverte soulève de nombreuses questions : l’ours était-il déjà mort lorsque le requin l’a consommé ? Le requin l’a-t-il attaqué alors qu’il nageait en surface ? Le comportement alimentaire du requin du Groenland, membre de la famille des requins dormeurs, est mal connu. Cette espèce peut plonger jusqu’à 2 200 m de profondeur, se nourrir de phoques, et des morceaux de graisse ont déjà été retrouvés dans l’estomac d’un individu. Il peut aussi être nécrophage et dévorer des cadavres qui jonchent le fond des océans. Des traces d’attaque de requin avaient déjà été identifiées sur des ours polaires en baie d’Hudson.

Le randonneur de la banquise

L’ours polaire est un modèle en matière de gestion d’énergie et de thermorégulation. Adaptations morphologiques, anatomiques, physiologiques et comportementales se complètent, assurant une utilisation optimale des ressources alimentaires et des réserves énergétiques lors du jeûne estival, ainsi que le maintien de la température interne en période de grand froid comme de chaleur modérée.

Au repos, la température de l’ours est de 37° Celsius. Parfaitement isolé, l’ours polaire ne doit pas élever sa température interne.

Sa démarche typique, bien différente de celle de l’ours brun, lui permet de s’aventurer sur des substrats fragiles comme une fine croûte de neige ou une pellicule de glace. Chaque pas est amorti, ce qui limite la perte d’énergie générée par l’enfoncement dans la neige. Lorsque l’ours chasse à la billebaude sur la banquise au début de l’été, alors que les phoques sont éparpillés dans la baie, il marche à vive allure, mais le soleil de début juillet l’échauffe. Pour se rafraîchir, il se roule sur la glace en frottant ses épaules au sol. Ces zones sont richement vascularisées, ce qui permet l’élimination des calories en excès. Quand vient la débâcle, l’ours peut se laisser dériver sur une plaque de glace. Couché patiemment sur son radeau, il se déplace ainsi sans fatigue ni dépense d’énergie, en quête d’un hypothétique repas. Certains documentaires montrent un ours courant comme un fou sur des plaques de glace à la dérive et se jetant régulièrement à l’eau pour faire baisser sa température corporelle : nul doute n’est possible, le plantigrade est poursuivi par un hélicoptère, car il n’a aucune autre raison de courir à cette allure sur la banquise.

Au travers de ces exemples, il est aisé de comprendre que l’ours polaire, remarquablement adapté aux températures très basses de l’hiver arctique, doit éviter les efforts intenses lorsque la température s’élève.

L’hiver, lorsque le vent souffle, l’ours se met à l’abri d’une arête de glace ou d’une congère, et se laisse recouvrir par la neige dans l’attente de jours meilleurs. De cette manière, il évite la dépense inutile d’une énergie chèrement gagnée.

L’une des adaptations fondamentales de l’ours polaire est son aptitude à ralentir son métabolisme pendant plus d’une semaine en cas de disette. Alors que les autres ours ne le font que pour passer l’hiver au fond d’une tanière, l’ours polaire peut ainsi économiser ses réserves à tout moment dans l’année en fonction des ressources qui s’offrent à lui.

Costaud et fragile à la fois

En se spécialisant, l’ours polaire a troqué le régime omnivore – relativement pauvre mais à base d’aliments faciles à trouver – de l’ours brun contre une alimentation carnée riche, mais dont la recherche implique d’importants déplacements.

Cette spécialisation, nécessaire à sa survie dans ce milieu si particulier qu’est la banquise, engendre paradoxalement pour l’ours polaire une grande fragilité. Son alimentation étant essentiellement composée de phoques qu’il ne peut chasser que sur la glace de mer, il dépend directement du cycle des espèces chassées. Or, le moindre décalage dans le développement du phytoplancton perturbe le reste de la chaîne alimentaire. L’abondance des poissons, comme la morue, conditionne celle des phoques : si leur ressource se disperse, ils la suivent, ce que ne peut faire l’ours hors de la banquise.

La dislocation précoce ou la formation tardive de la banquise prive les ours de ressources alimentaires. Ce n’est pas dans la toundra qu’un ours polaire peut trouver suffisamment de nourriture pour survivre, car il est trop lent pour chasser les herbivores comme le caribou ou le bœuf musqué, et ce ne sont pas les quelques lemmings et oiseaux qu’il pourrait attraper qui lui fourniraient assez d’énergie.

L’ours polaire, tributaire de la banquise, est à la merci des modifications rapides de son habitat liées au changement global.

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