Alimentation

Une baleine est une aubaine pour l'ours polaire (Spitzberg 2009) - © Françoise Passelaigue

Territoire de chasse

L’ours polaire vit en général à proximité des côtes, sans territoire véritable, privilégiant les zones de forte productivité, peu profondes et agitées par les courants. Sur la banquise, il ne s’éloigne que rarement à plus de 80 km d’une côte, se cantonnant aux régions situées au-dessus du plateau continental. Il se déplace selon l’état de la banquise dont dépend l’abondance des phoques. Une aire de nourrissage riche en phoques, une aire de reproduction propice aux tanières des femelles et des couloirs entre ces deux entités fondamentales sont les critères qui déterminent son occupation de l’espace.

La taille de cet espace est fonction de la zone géographique et de l’âge de l’individu. Les ours de la mer de Barents doivent parcourir de vastes étendues pour se maintenir sur une banquise en perpétuel mouvement. Les jeunes sans expérience sont obligés de couvrir de grandes distances pour s’éloigner des zones exploitées par les adultes et trouver une nourriture suffisante, tandis que les individus expérimentés qui ont mémorisé le rythme de la banquise restent aux meilleures places.

Les ours peuvent ainsi explorer en une année une aire géographique allant de 15 000 km² à près de 600 000 km² suivant l’abondance des proies. Ils marchent à une allure régulière de 4 km/h et couvrent des distances considérables, jusqu’à 50 km par jour et 6 000 km par an. Ils peuvent se laisser entraîner sans effort par la dérive de la banquise, mais doivent parfois se déplacer en sens inverse pour rejoindre un objectif précis.

Le cycle des ours polaires est calqué sur celui de la banquise, ce qui leur permet d’y rester le plus longtemps possible. En mer de Beaufort, les ours se maintiennent en toute saison en bordure de la glace de mer, ce qui les oblige durant l’été à migrer à 1 000 km au nord du continent. Très loin d’une côte, ils sont à la merci d’une dislocation brutale de la banquise.

En baie d’Hudson, les dernières plaques de glace se disloquent au sud de la baie début juillet. Les ours qui ont dérivé sur ces radeaux n’ont d’autre alternative que de se réfugier au sud du cap Churchill. Dès leur atterrissage, ils commencent leur migration vers le nord et se regroupent sur quelques dizaines de kilomètres de côte autour de ce cap dans l’attente de la formation d’une nouvelle glace de mer, qui ne débutera pas avant novembre.

En mer de Barents, certains ours rejoignent les îles et îlots pour tenter d’y subsister tout l’été, d’autres restent sur la glace sans cesse en déplacement à cette période de l’année. Souvent ce sont de gros individus, chasseurs efficaces qui profitent des phoques alanguis sur les plaques de banquise. Dès que l’un d’eux a tué un phoque, la « nouvelle » olfactive se répand, et d’autres ours peuvent tenter de venir partager le butin de la chasse ; en cas d’abondance, le chasseur pourra le partager avec un congénère après de multiples tentatives d’intimidation. 

Types de proies et techniques de chasse

L’ours polaire est un prédateur très spécialisé dans la chasse aux phoques, et plus largement aux mammifères marins. Les scientifiques estiment qu’un individu adulte a besoin de 50 à 60 phoques par an pour survivre.

Les deux espèces les plus souvent chassées sont le phoque marbré (94 %), dont les adultes n’excèdent pas 80 kg, et le phoque barbu (6 %) qui peut atteindre 400 kg. Occasionnellement, le phoque du Groenland, le phoque à capuchon, voire le phoque veau marin, peuvent être la proie des ours polaires. Dans certains cas, au Svalbard ou sur l’île Wrangel, les ours tentent de s’attaquer aux morses. Cette entreprise périlleuse est rarement couronnée de succès et parfois même sanctionnée d’un mauvais coup de défenses ; en effet, le morse est massif et doté d’une peau très épaisse constituant une véritable armure.

Au titre des prises accessoires, dans des circonstances particulières, citons le bélouga, proche cousin du narval. Lorsque plusieurs individus se rassemblent, serrés les uns contre les autres dans une ouverture de la banquise, un ours peut attaquer l’un d’entre eux sur le dessus de la tête au niveau de l’évent ; l’animal blessé, incapable de respirer, pourra alors être achevé et hissé sur la banquise.

L’hiver, à l’exception des femelles gravides, tous les ours polaires sont sur la banquise pour se nourrir. Ils l’arpentent, guidés par leur odorat et leur expérience, attirés par les polynies et les chenaux, seules zones d’eau libre dans cet univers solide. Les ours savent que ces oasis dans la glace offrent aux phoques la possibilité de venir respirer sans avoir à maintenir ouvert un trou. Mais l’hiver n’est pas une période d’abondance. L’ours polaire doit attendre mars ou avril pour voir les phoques redevenir des proies faciles.

Au printemps, les femelles phoques marbrés donnent naissance à un blanchon dans une tanière creusée dans la neige accumulée contre les arêtes de compression de la banquise, en utilisant une faille entre deux plaques de glace. Aucun indice extérieur ne permet de déceler la présence de la tanière. En cette période d’abondance, l’ours recherche les zones fracturées offrant aux phoques les meilleures conditions. Son odorat lui permet de repérer leur présence sous la neige. Pesant de tout son poids, il tente d’effondrer la voûte de neige et se précipite la tête la première pour saisir le blanchon. Souvent, celui-ci a déjà rejoint l’océan.

À l’affût près d’un trou de respiration, l’ours peut rester figé pendant de longues heures en attendant qu’un phoque remonte à la surface : alerté par le mouvement de l’eau lorsque ce dernier remonte dans la cheminée creusée au travers de la banquise, il se prépare. Un coup de patte puissant suffit à assommer sa proie avant même qu’elle n’ait décelé la menace.

Au début de l’été, les phoques passent la journée sur la glace à proximité d’un trou. Ils sont parfois quatre ou cinq. L’ours parcourt la banquise à la recherche des pinnipèdes en pleine sieste. Arrivé à une cinquantaine de mètres, si les phoques sont toujours là, le plantigrade change d’allure et avance pas à pas quand les phoques semblent assoupis. Dans les derniers mètres, il se précipite, mais rate très souvent son coup.

Lorsque la banquise commence à se disloquer, l’ours polaire chasse à l’approche dans l’eau les phoques qui profitent du soleil sur des plaques plus ou moins à la dérive. Il se dirige vers eux à la nage entre les plaques de glace, entrecoupant sa progression en surface d’apnées successives. Il ne surgit qu’au dernier moment en bondissant sur sa proie avant qu’elle ne rejoigne la mer.

L’apprentissage de la chasse commence dès la sortie de la tanière. Lorsque la mère va se poster près d’un trou de respiration, elle stoppe ses jeunes à quelques dizaines de mètres en arrière : ils doivent rester calmes et silencieux pendant de longues heures, imitant la posture de leur mère, souvent allongée sur le ventre, la tête posée sur les pattes, face au vent pour mieux capter les odeurs.

Méthodes d’alimentation

L’ours polaire est un mangeur méticuleux. Lorsqu’il dépèce un phoque, c’est presque de manière chirurgicale. Ce qui l’intéresse en premier lieu, c’est la graisse blanche qui enveloppe le corps de l’animal juste sous la peau. L’épaisseur en est variable, mais toujours de plusieurs centimètres. Après avoir tué sa proie, le carnivore la dépouille : à l’aide de ses puissantes griffes recourbées et de ses canines, il déchire la peau et mange le maximum de graisse, sans toucher à la chair. Il laissera derrière lui la carcasse qui sera le repas des oiseaux et des renards.

Comme les autres carnivores, l’ours polaire a un estomac simple et un tube digestif court.

La digestion et l’absorption de la graisse nécessitent peu d’énergie, et l’ours polaire l’assimile à près de 98 %. Il la dévore très rapidement après avoir tué le phoque, compensant ainsi la dépense d’énergie liée à la chasse. En outre, il aura déjà consommé l’essentiel au cas où un congénère plus puissant viendrait lui voler la carcasse. Un ours peut ainsi manger plusieurs kilos de graisse en quelques dizaines de minutes.

Au début de l’été, avant de quitter la banquise, l’ours polaire peut aussi dévorer la viande lorsque les proies se font rares. La dépouille est alors nettoyée jusqu’au dernier morceau sans même casser une côte. Dérangé dans son repas, il entraîne la dépouille avec lui, la tractant dans l’eau pour passer sur un autre glaçon et manger tranquillement.

Les carcasses de narvals abandonnées par les chasseurs, les cadavres de phoques ou de caribous sont autant de nourriture facile. L’odeur d’une baleine ou d’un cachalot échoué sur l’estran va attirer les ours à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Ils seront parfois plusieurs à se gaver de viande et de graisse en décomposition, femelles, mâles et jeunes côte à côte, sans distinction. Curieusement, l’expérience a montré que le cadavre d’un chien n’était pas consommé.
L’été, quand les ours polaires vivent à terre, il leur est impossible de se nourrir de phoques, et ils sont alors attirés par les colonies d’oiseaux qui nichent au sol, comme les eiders, les bernaches et les oies à bec court. Ils font la tournée des nids et gobent méticuleusement les œufs.

Au pied des grandes falaises occupées par les guillemots et les mouettes tridactyles, les ours font bombance, se nourrissant d’œufs et de poussins tombés du nid, mais également d’adultes qu’ils vont jusqu’à attraper dans l’eau.

En période de disette, les ours peuvent s’attaquer aux lemmings, nourriture marginale pour un animal de cette taille. Ils consomment aussi des végétaux : dans la toundra, ils essayent de trouver quelques baies, et en bord de mer mangent des algues qu’ils vont parfois pêcher à quelques mètres de profondeur, mais leur système digestif n’est pas conçu pour assimiler efficacement la matière végétale.

Des observations récentes dans certaines rivières du Labrador, et plus récemment en Terre de Baffin, ont confirmé l’hypothèse que les ours polaires pêchent les ombles arctiques en se jetant à l’eau et en nageant. Ce comportement semble d’ailleurs être enseigné aux jeunes.

Nourriture d’origine humaine

Dans certaines zones habitées par les hommes, les ours polaires attirés par les odeurs de nourriture potentielle peuvent se rapprocher des habitations. Pragmatiques et prudents comme toujours, ils vont patrouiller à distance pour renifler l’air et attendre le calme de la nuit. Toute maison abandonnée est inspectée à la recherche d’une faille qui pourrait leur donner accès à un repas prometteur. L’ours polaire pèse sur les parois, les tâte du bout de la patte. Il commence ses investigations du côté du poêle ou de la chaudière, d’où émanent les odeurs grasses de combustion. Les ours aiment tout ce qui est gras : huile de moteur, graisse d’engin… Ils raffolent de la mousse artificielle des selles de motoneige et de moto à quatre roues. Ils peuvent aussi fouiller les poubelles et visiter les décharges publiques. La plus célèbre d’entre elles, celle de Churchill, est fermée depuis 2006.

Les ours viennent également manger les restes de nourriture laissés par les chiens, mais ne s’attaquent jamais à ces derniers. Pourquoi ?

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