Ours brun

Pêche au saumon au Kamchatka © Rémy Marion

Pêche au saumon au Kamchatka © Rémy Marion

Origine

Pour comprendre l’évolution qui a mené aux espèces d’ours actuelles et en particulier à l’ours brun, il faut remonter le temps 50 millions d’années en arrière.

A cette époque, un carnivore arboricole ressemblant à une genette ou à une civette vit dans les forêts d’Asie centrale. Il est à l’origine des différents groupes de carnivores que nous connaissons. 30 millions d’années plus tard alors que les Viverridés, les Félins et les Canidés ont déjà commencer leur développement sur des branches évolutives distinctes,  Ursavus elemensis,  gros comme un renard, est le premier élément de la lignée des Ursidés.

De cette souche, un groupe évoluera vers le grand panda que nous connaissons, une autre donnera la filière des ours à face courte, la troisième est à l’origine des autres ours.

Il faut encore attendre 20 à 25 millions d’années pour découvrir Ursus minimus dans les roches d’Europe occidentale, base même de toutes les espèces connus actuellement.

Petit comme son nom  l’indique il devait ressembler à l’ours noir américain.

L’ours d’Auvergne comme certains paléontologues l’appelle, aura comme descendance directe Ursus etruscus qui rayonnera en ouvrant la voie évolutive vers toutes les espèces encore visibles et certaines disparues comme l’ours des Cavernes.

Les fossiles les plus anciens attribués à un ancêtre de nos actuels ours bruns date de 1,2 millions d’années. Toutes les éléments paléontologiques et génétiques s’accordent pour placer les premiers ours brun en Asie centrale d’où ils peupleront l’Eurasie et l’Amérique profitant d’une glaciation qui offre une vaste plaine entre les deux continents.

A cette époque il cohabitait avec deux espèces maintenant disparues : le célèbre ours des cavernes et l’ours à face courte habitant des plaines d’Amérique du Nord.

Les ours brun de cette époque était plus grand et plus massif que ceux que nous connaissons maintenant. Ils étaient aussi plus carnivores comme le démontre leurs dentures.

L’ours des cavernes qui vivait encore à l’époque où l’actuel ours brun a commencé à coloniser l’Eurasie n’a pas donné de descendance. Son voisinage avec l’homme en pleine extension, lui fut fatale, et il ne résista pas à l’invasion humaine d’il y a 10 à 12 000 ans.

 L’ours à face courte qui vivait dans les plaines d’Amérique du Nord fut aussi un contemporain de l’ours brun, mais il était en concurrence directe avec de nouveaux arrivants, les hommes. Homo sapiens et Arctodus simus chassaient les mêmes grands herbivores. Le grand ours de près de 700 kilos, monté sur des pattes de coureur de fond

vivait dans les espaces ouverts et sa présence à certainement obliger l’ours noir à vivre en forêt et l’ours brun à rester en Alaska. Ce dernier ne commença à envahir les plaines américaines qu’après la disparition de l’ours à face courte il y a 10 000 ans à 12 000 ans.

Un proche parent de cette espèce subsiste encore c’est l’ours à lunettes, seule espèce d’ours vivant en Amérique du Sud dans les montagnes du Venezuela et de Colombie.

Les ours sont issu d’un filière évolutive dont une ramification se diversifia pour donner les pinnipèdes (phoques et otaries). Pour nous convaincre du cousinage entre les otaries et les ours il suffit de regarder leurs crânes. Malgré les modes de vie très différents, les boites crâniennes d’un lion de mer austral par exemple et d’un ours brun montrent des ressemblances évidentes.

La denture de l’ours brun est celle d’un omnivore, avec de nombreuses ressemblances avec celle du sanglier. Molaires aplaties sans cuspides marqués, canines massives et bien développées pour broyer les racines.

L’ours polaire est la dernière espèce qui se diversifia, c’est la plus récente dans  cette longue évolution mais sera peut être aussi la plus fragile.  Les ours polaires sont très proches génétiquement des ours bruns du sud de l’Alaska ce qui suppose que l’origine des ours qui ont peuplé le grand nord est partie de cette région. Les premières traces de cette espèce dates de 300 000 ans et le plus ancien fossile de Ursus maritimus tyrannus  fut retrouvé dans la banlieue de Londres et date de 70 000 ans. L’ours polaire très spécialisé est un cul de sac évolutif, au même titre que le panda, qui risque de subir de plein fouet le réchauffement de la planète sans avoir le temps de s’adapter.

Description

L’ours brun est rond ; Philippe Legendre, grand connaisseur de l’animal, le dessine pour les enfants avec des cercles : un pour la tête, un pour le corps, deux pour les oreilles. Je me rappelle d’Eric Alibert, peintre animalier et complice d’un voyage en Sibérie orientale, un œil rivé dans sa lunette, l’autre sur sa feuille de carnet à dessin, traçant en trois arabesques de son pinceau à aquarelle, l’ours qui broutait sur l’autre rive. Il prenait vie, nulle aspérité dans cette boule de poils. Contrairement aux félins à la musculature saillante d’athlète surentraîné, l’ours est couvert d’une épaisse fourrure comme pour masquer sous une pelisse fournie une stature imposante de lutteur. Cette fameuse fourrure est constituée de trois couches de poils : un poil de bourre court et laineux, un poil intermédiaire et un poil de jarre, long et solide.

La densité des poils varie en fonction de la saison et des individus. La fourrure a plusieurs fonctions,  elle protège l’animal des rigueurs climatiques mais c’est aussi une protection mécanique, une armure contre les agressions de la vie forestière, parfois aussi contre les coups de pattes de ses congénères.

Elle offre à l’ours la possibilité de se faufiler dans les branches et les grandes plantes sans bruit et sans agiter la moindre ramure. Lorsque l’on voit un ours rentrer dans les buissons, il est impossible de savoir où il se trouve après 3 ou 4 pas. Dans sa coloration et sa morphologie, les ours bruns présentent un grande de variations individuelles et régionales. Les ours d’Hokkaido ont une tête allongée qui les fait ressembler à de gros chiens, hauts sur patte et avec de très grandes oreilles. Souvent, ils exhibent une encolure roux orange du plus bel effet. Les ours du sud de l’Europe sont souvent assez clairs, brun jaune. Mais il est impossible de définir des colorations types pour chaque site tant les variations sont multiples.  Je me souviens d’un site en Finlande où toutes les colorations se succédaient durant la nuit, du noir jais au roux orange en passant par le gris et le brun sombre. Les fameux grizzlis d’Amérique du Nord se caractérisent par une coloration qui leur a valu leur nom, mélange de jaune et de gris argenté.

Certains naturalistes ont voulu isolé une population distincte d’ours brun d’Amérique du Nord qui serait confinés à l’intérieur des terres jusqu’aux limites de l’Arctique sous le nom de grizzli mais en pratique ce nom est donné à tous les ours bruns du Canada et des Etats Unis, à l’exception de l’île Kodiak.  Une autre sous espèce est identifié dans le désert de Gobi en Mongolie. Il est haut sur pattes et son pelage est brun doré. Particulièrement rare, il n’existe qu’une trentaine d’individus vivant dans le désert rocheux à proximité de points d’eau. Variété mal connu elle est classé en annexe II de la Convention de Washington tant elle est menacée

Les oursons portent parfois un collier blanc sur la poitrine qui normalement disparaîtra rapidement, certains individus adultes le conservent.

Si la coloration varie beaucoup, il en va de même pour la taille. Mâle et femelle ont des corpulences très différentes avec 10 % à 25 % d’écart en moyenne, de plus la taille varie beaucoup d’une population à l’autre. Les ours atteignent leur taille adulte vers 10 ans. Ceux des Pyrénées sont de taille modeste mais ils atteignent tout de même 1 m au garrot et pèsent 80 à 200 kg. Le plus gros individu connu pesait 350 kg et fut abattu en 1850 à Val d’Ossau.

Les plus gros vivent dans les zones où les saumons sont présents en abondance : Kamchatka et sud de l’Alaska.

La variation de poids s’étale entre 80 et plus de 600 kilos jusqu’à 780 kilos dans la nature voire plus de 900 kilos pour des animaux captifs. Mais le poids varie tout au long de l’année : en automne, période de forte alimentation en prévision de l’hiver, les ours se constituent de fortes réserves de graisse équivalentes à 30% de leur poids.

La hauteur aux épaules s’échelonne de 0,90 à 1,5 m. Debout les plus grands ours bruns peuvent atteindre 2,70 m.

Les systématiciens ont voulu trouver dans ces nombreuses variations de taille et de couleur des sous-espèces que bien souvent les analyses génétiques modernes récusent. Il fut une époque où  plus de quarante sous-espèces d’ours brun étaient décrites parfois sur la base de quelques informations rapportées par un chasseur ou sur quelques mesures apparemment convergentes au sein d’une île ou d’une région. Les analyses très fines de la génétique regroupent avec précision des populations non plus sur des données comme nous l’avons vu très variables mais sur les bases d’un patrimoine génétique permettant d’identifier les ramifications qui relient ces groupes d’animaux. . En faites, il n’y a qu’une espèce d’ours brun Ursus arctos.

L’ours brun c’est aussi une allure, une démarche. Il roule des épaules comme un lutteur de sumo toujours prêt au combat. Sa démarche lourde tranche avec celle de son proche cousin l’ours polaire, souple et élégant.

La main puis le pied sont bien posés à plat sur le sol. Il est plantigrade et la trace laissée par le pied de l’ours ressemble étrangement à celle d’un homme. Je me rappelle nos recherches avec Jean-Louis Orengo, ichnologue (spécialiste des traces) de son état, traquant les traces de l’ours noir « blanc » dans les forêts humides de Colombie britannique : bien marquée dans la vase d’une petite rivière, une trace ronde, une main d’ourson, non une trace de glouton. Les différences sont subtiles et notre pyrénéen a su les identifier. Dans certaines régions, les traces des oursons peuvent être confondues avec celles du glouton ou du blaireau, eux aussi plantigrades mais plus petites.

Les empreintes de pas fournissent informations particulièrement intéressantes.

Les griffes des pattes avant sont longues, 5 à 7 cm voire jusqu’à 10 cm et bien aiguisées, utilisées comme outils de terrassement elles s’affûtent à force de creuser le sol pour en extraire des racines ou piller des terriers de petits mammifères. De ses griffes, il marque les arbres, en des endroits bien visibles, à hauteur d’homme. Il choisit de préférence les résineux dont l’odeur l’excite et sur lesquels il se frotte (marquage du territoire et action anti-parasite). Les pattes postérieures portent des griffes moins longues.

La course de l’ours est rapide, il peut atteindre 35 km/h voire 50 km/h une fois lancé sur plusieurs centaines de mètres. Le démarrage est souvent brutal pour charger un individu indésirable ou poursuivre une proie. La course est l’amble ce qui signifie que l’animal décolle du sol les deux pattes du même côté comme les dromadaires par exemple  En pleine course, le poil semble agiter la silhouette, les griffes labourent le sol, l’ours balance son poids pour couper la route à sa proie. Très rarement observées, principalement au nord de l’Alaska dans des zones ouvertes, ces courses pour attraper un jeune wapiti ou un renne, nous montrent  l’adaptabilité de ce carnivore à tous les modes d’alimentation et de chasse.

De leur marche débonnaire, les ours bruns sont de grands voyageurs et parcourent parfois des centaines de kilomètres entre les différents lieux d’alimentation, de reproduction et d’hivernage. Les ours peuvent parcourir 15 à 20 km en une nuit. Rien ne les arrête, un col à franchir à 3 000 mètres d’altitude, des vallées encaissées encombrées de végétation, la neige profonde, des névés verglacés ou des éboulis vertigineux.

Mais il ne marche pas au hasard. Le posé de la patte et la trajectoire dépendent de la qualité du sol. Animal discret, l’ours brun évite de marcher sur les brindilles et préfère les sentes tracées par les générations précédentes.

Ces chemins d’ours sont bien visibles. Largeur, absence de débris végétaux bruyants, poils accrochés aux branches ou collés sur la résine, ils fournissent de nombreuses informations sur la population d’ours qui les parcourt. Les hommes les ont utilisés pour s’enfoncer dans la forêt, seules voies de communication dans un entrelacs de buissons comme au Kamchatka par exemple. Maintenant les ours profitent des chemins créés par l’homme, il n’est pas rare de voir sur des allées forestières des dizaines de traces d’ours enfoncées dans les ornières laissées par les engins de débardage.

Les ours bruns sont de bons nageurs, ils nagent comme des chiens en pagayant de leurs pattes antérieures, leur flottabilité les aide à se maintenir en surface. Parfois, ils doivent franchir des baies, des fleuves et des rivières pour rejoindre d’autres territoires. Certains ours ont réussi à nager jusqu’à plus de vingt kilomètres contre le courant et en eau froide. Pour pêcher des saumons ou des grenouilles, ils nagent et plongent. Ils aiment aussi jouer dans l’eau, s’ébattent pendant des heures pour éviter les moustiques . Ils se baignent, font du sous l’eau. Lorsque les saumons se font attendre dans les rivières, les ours tentent leur chance en mer et plongent dans les vagues, et parfois en ressortent avec un poisson argenté entre les dents.

Dans les régions volcaniques au Kamchatka et en Californie, les ours profitent des piscines d’eau chaude et sulfureuse. Ils réinventent la thalassothérapie. Je me rappelle ma rencontre avec Vitaly Nicolaenko dans sa hutte de la vallée des Geysers au Kamchatka en 1993, il m’avait montré sa collection de photos d’ours qui se baignaient dans les sources volcaniques. En 1995, la cabane a brûlé (cause criminelle ?) avec toutes ses images et ses archives patiemment accumulées et Vitaly a été dévoré par un ours la nuit du 31 décembre 2002.

La vie au pays des ours russes n’est pas toujours un long fleuve tranquille.

Les ours bruns grimpent aux arbres avec agilité. Pour cueillir des raisins au sommet d’un arbre, ils passent de branche en branche comme de grands singes un peu lourdaud et cassent quelques branches. Lorsqu’un danger est imminent, la femelle ordonne à ses jeunes de grimper à l’arbre le plus proche. Les petits grimpent avec une rapidité étonnante sur des troncs verticaux sans aucune branche pour les y aider. Souvent il est écrit que les ours adultes ne grimpent pas aux arbres mais dans certaines occasions des femelles ou des mâles de plusieurs centaines de kilos peuvent se hisser avec rapidité à quelques mètres de haut. Falaises abruptes et sentiers escarpés ne les effraient pas non plus. Pour rechercher une racine moelleuse, un écureuil juteux ou une ruche appétissante, ils peuvent escalader des éboulements au risque de recevoir des rochers mais rien ne les arrête.

Partager ce contenu